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Qui sont les pêcheurs d’algues ? Goémoniers et cueilleurs d’algues

3 mars 2021

Presque 200 professionnels annuels et 300 saisonniers pratiquent la récolte ou la culture d’algues en Bretagne. Grâce aux qualités exceptionnelles des végétaux marins, les usages industriels et artisanaux avec celles-ci se sont démultipliés avec une demande croissante depuis quelques dizaines d’années.

Chaque année, plus de 70 000 tonnes d’algues sont récoltées en Bretagne, principalement par bateau, pour servir l’industrie cosmétique et pharmaceutique. 5000 à 6000 tonnes sont en revanche récoltées par les pêcheurs à pied pour un usage alimentaire comme avec nos produits Bord à bord. Parmi la vingtaine de variétés récoltées en pêche à pied, on retrouve la laitue de mer, la dulse, le spaghetti de mer ou encore le Kombu Royal. Chaque variété est récoltée durant une saison précise avec une réglementation respectée par les pêcheurs à pied, notamment en zone de récolte BIO.

Mais qui sont ces jardiniers de la mer qui cueillent les algues bretonnes ? D’où vient cette profession et comment s’organise ce métier dédié à la mer ? Nous répondons dans cet article à ces interrogations sur une pratique historique et iconique de la Bretagne, qui aujourd’hui se réinvente et place la ressource locale au coeur de son développement.

L’été dernier, France 3 Bretagne consacrait un reportage à la récolte des algues dans l’archipel de Molène, puis à la transformation de celles-ci pour mettre au point les recettes de Bord à bord.

Goémonier, un métier historique

Durant des siècles, le goémon (gwemon = mélange d’algues de rivage en breton) était coupé à partir des rochers par marée basse (goémon de rive) ou bien ramassé directement sur la laisse de mer (goémon d’épave*). Une fois séché, il pouvait être utilisé comme engrais, comme combustible ou bien pour l’alimentation animale afin de pallier au manque de terres cultivables, notamment sur les îles. Il s’agissait d’une pratique à laquelle toute la famille participait lors des récoltes.

Au début du 19e siècle avec la découverte de l’iode par Bernard Courtois, le volume de récolte des algues augmente fortement. Le métier se professionnalise rapidement pour les besoins des industriels qui extraient alors des cendres du goémon brûlé une importante quantité de soude et d’iode, précieux pour les usages pharmaceutiques.

Les premiers goémoniers professionnels partent alors en mer récolter le "goémon de fond", des algues brunes laminaires très riches en iode comme le Kombu Royal, pour les transporter vers les usines qui les transforment ensuite. À partir de 1960, l’activité goémonière prend un tournant : les pratiques traditionnelles se modernisent avec des bateaux et outils spécialement conçus pour la pratique. La récolte en mer prend alors le dessus sur la pêche à pied afin de fournir les besoins de volume croissants des industries pharmaceutiques en alginates (gélifiants).

*Le goémon d’épave

Ces différentes variétés d’algues étaient traditionnellement ramassées au râteau après un coup de vent sur les grèves puis étalées dans les jardins ou données à manger au bétail. Leur récolte est la plus ancienne et facile à réaliser car ouverte à tous. A partir du 17e siècle, toutes les espèces d’algues échouées étaient ramassées puis triées selon leur intérêt pour l’agriculture ou pour l’industrie. Depuis 1970, les goémons d’épaves ne sont toutefois plus utilisés que par certains cultivateurs et leur ramassage est très occasionnel.

Histoire locale, la récolte du Pioca
Bon nombre de Finistériens maintenant dans un âge respectable, ont par le passé, comme travail d’été, ramassé du “PIOCA” pour l’industrie.

Cette belle algue rouge un peu frisée est plus connu sous le nom de Chondrus Crispus ou goémon blanc. Vous en mangez d’ailleurs probablement toutes les semaines. Faîtes le test en vérifiant la liste d’ingrédients de vos yaourts ou desserts gélifiés. Vous ne voyez pas d’algues dans la liste d’ingrédients ? Cherchez le mot carraghénane ou E 407 et E 407B ! Ce nom étrange est en fait ce qui permet la tenue dans le temps de votre gourmandise sucrée, sans elle, la texture serait différente et surtout la production plus difficile et coûteuse ! Merci les algues !

Après 1970, deux types de récolte d’algues

À partir de 1970, les méthodes de récolte des algues se modernisent et les outils de travail deviennent de plus en plus mécanisés.

La récolte par bateau se distingue de la récolte à pied avec des variétés récoltées, des volumes et des usages différents. Pour cela un navire de 10 à 12 mètres de long dédié à la récolte des algues est utilisé : le goémonier. Le skoubidou hydraulique fait rapidement son apparition et s’installe avec un mât articulé à bord des goémoniers.

Lors de la pêche, il plonge en direction des algues laminaires, son crochet enroule les algues autour de lui puis en remontant il les arrache à la roche. Enfin le mât se relève et les algues sont déposées dans la cale du bateau. Autre technique développée en Mer d’Iroise un peu avant les années 2000 : le peigne norvégien. C’est une drague traînée au fond pour récolter la Laminaria hyperborea (laminaire nordique) en eaux plus profondes. Depuis la fin des années 70, le goémon est vendu frais à des usines dont l’activité est de le sécher, le conditionner et le commercialiser. Le déchargement du goémon se fait par grue, directement sur les quais, dans des camions destinés aux usines de transformation.

La récolte à pied reste de son côté très authentique et artisanale : les récoltants professionnels s’aventurent sur les zones riches en algues avec des embarcations légères pendant les grandes marées.

En fonction des saisons et au moment des grandes marées, les algues de rivages sont généralement coupées (à la faucille par exemple) à basse mer et déposées dans l’embarcation. Lorsque la mer remonte, les jardiniers marins rejoignent la terre pour livrer leurs clients transformateurs. Les variétés d’algues récoltées sont mises dans des sacs, puis ramenées à l’aide de canots à moteur, de brouettes ou de tracteurs (sous couvert d’une étude d’impact Natura 2000).

Chez Bord à bord, nous ne travaillons qu’avec des pêcheurs à pied pour la cueillette d’algues sauvages. Nous avons à coeur d’encourager cet artisanat humain, naturel et historique de la cueillette d’algues. Nos jardiniers marins sont des professionnels de la mer avec un savoir-faire bienveillant, ils sont les vigies de nos rivages et surveillent le bon développement de chaque variété selon la saison. Par ailleurs nous utilisons uniquement des algues labellisées “bio”, cette certification encadre la cueillette pour pérenniser la ressource sauvage. Pour les lecteurs qui douteraient de la capacité de repousse des algues, en plus de notre collaboration avec les organismes chargés de l’analyse de la santé des fonds marins, nous reprendrons ce vieil adage de pêcheur : “la mer n’a pas de ciseaux” (...et les algues repoussent pourtant bien chaque année).

Les lieux de cueillette des algues sauvages

C’est dans le nord du Finistère que l’activité goémonière est la plus importante, faisant de la Bretagne la première région productrice d’algues de France depuis le 14e siècle ! En 2011, 90% de la production nationale venait de Bretagne et essentiellement du Finistère avec 71000 tonnes d’algues récoltées : 65000 tonnes en mer pour 35 navires goémoniers et 6000 tonnes cueillies à la main sur les rivages.

Sur les côtes nord-finistériennes, baignées par la Manche et la Mer d’Iroise, les champs d’algues sont les plus étendus et les plus riches du littoral Atlantique. On comptabilise plusieurs centaines d’espèces d’algues en Bretagne. Le fait que la côte finistérienne soit bordée de fonds rocheux faiblement immergés avec de puissants courants, un fort marnage ainsi qu’une belle qualité d’eau expliquent cet excellent développement des algues.

L’archipel de Molène est le champ d’algues le plus étendu d’Europe avec près de 40% de la récolte nationale des algues laminaires. Premier bénéficiaire de cette industrie : le port de Lanildut qui est logiquement le premier port de déchargement d’algues en Europe avec 35 000 tonnes débarquées chaque année. D’autres ports comme celui de Plouguerneau ou de Roscoff participent également intensément à la récolte des algues.

Cueilleur d’algues : un métier de passion

Malgré sa modernisation, le métier de goémonier reste une profession difficile, confrontant femmes et homme aux éléments en particuliers lors de mauvaises conditions météorologiques. La saisonnalité de la pêche a longtemps imposé à ceux qui pratiquaient ce métier d’opter pour une seconde source de revenu en période creuse.

Aujourd’hui le métier se professionnalise et plusieurs dizaines de pêcheurs d’algues en vivent à l’année. La difficulté physique du métier et la relation spéciale avec les éléments en font une profession admirée et respectée par les populations littorales.

Malgré les risques et les difficultés, être cueilleur d’algues est un métier de passion. Les professionnels continuent fréquemment à pratiquer après l’âge de la retraite et transmettent souvent leur savoir-faire de génération en génération. Avec l’essor des professions exercées en pleine nature, nul doute que la cueillette d’algues à pied a de beaux jours devant elle.

Comment devenir cueilleur d’algues professionnel ?
Après plusieurs années de travail avec les récoltants professionnels d’algues de rive, le CRPMEM de Bretagne a mis en place en 2018 un système de licence professionnelle de récolte d’algues de rive en Bretagne. L’aboutissement de ce travail reflète la volonté des professionnels de la filière de prendre en main leur destin, de se tourner vers l’avenir et d’assurer la pérennisation du métier de cueilleur d’algues. Chaque année, les licences se négocient auprès du CRPMEM de Bretagne pour obtenir le droit de cueillir professionnellement des algues dans des zones délimitées. Il existe un nombre maximum de licences par zones avec des consignes strictes sur la saisonnalité, la taille minimale de coupe ainsi que la manière de cueillir les algues (voir le guide des bonnes pratiques).

Témoignages* sur le métier de goémonier

« Goémonier ? Je l’étais avant de marcher. Ma mère m’a mis au monde dans un canot ! C’était un travail tellement dur. Et pourtant, mon rêve était de le faire. J’ai eu cette chance ! »
(goémonier de Plouguerneau)

« La moitié de sa vie est partie avec le goémon. Pendant ses congés, il allait toujours au goémon. »
(femme de goémonier)

« Mon père était goémonier, à 20 ans je n’ai pas pu résister. Mon père ne voulait pas que je suive sa voie à cause des risques et de la dureté du métier : horaires décalés, port de charges, risques en mer. La récolte d’algues demande énergie et conviction. Mais treize ans plus tard, je ramasse toujours des algues et je ne m’imagine pas faire autre chose. C’est ma passion. Ce métier m’a fait rester sur l’île, je crois que c’est pour cela que je l’ai choisi. J’ai un fils âgé de 14 ans, j’aimerais bien qu’il reprenne le flambeau… »
(goémonier de l’île de Batz)

*Source : article du Télégramme « Le goémon en héritage », 2 mai 2013

À propos de l’Actu des algues
L’actu des algues c’est le blog de Bord à bord avec des articles sur tout ce qui touche au monde passionnant de nos végétaux marins ! Nous y partageons le savoir-faire acquis au cours de toutes ces années à travailler avec les algues et les professionnels du secteur. C’est également un lieu de partage de conseils, de bonnes pratiques et d’idées de recettes afin d’ouvrir notre univers iodé au plus grand nombre et continuer à faire aimer les algues !
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